Il y a quelques semaines, j’avais prévu d’animer de nouveau sur ce site. J’aurais commencé par un article intitulé « Comment je n’ai pas fait un burn out », pour raconter mon épuisement professionnel et la manière dont je m’en suis sortie, et inaugurer une série de billets sur l’écriture, avec parution régulière, comme une vraie bloggeuse des années 2000, mais en 2020, parce que j’ai un petit côté hipster.
Et puis, il s’est passé, dans le monde, des trucs qui auraient paré ce retour en force d’un timing douteux.
Mais j’ai tout de même envie de ressusciter ce blog, et vais donc vous parler de Face au Dragon.
Face au Dragon, c’est mon troisième roman, paru aux éditions Projets Sillex. Les éditions Projets Sillex, c’est un nouveau concept éditorial destiné à mieux rémunérer les auteurs (minimum 30% des ventes au lieu des 5 à 12% habituels), en passant notamment par une campagne de préachats. Et une campagne de préachat, c’est du crowdfunding.
Autant vous dire que j’avançais avec circonspection. Même si, de plus en plus, j’explore les potentialités des modes de publication alternatifs, la principale raison pour laquelle j’apprécie l’édition traditionnelle est PRÉCISÉMENT le fait de ne jamais, JAMAIS, JAMAIS m’emmerder avec la promo.
Or, Face au Dragon avait intéressé des éditeurs traditionnels.
Alors pourquoi ?
Aparté historique (ouais, carrément) :
En 2015, un copain me propose de faire avec lui le NaNoWriMo (NaNo pour les intimes ; un défi littéraire annuel consistant à écrire 50000 mots en un mois). À l’époque, le NaNo, je ne voulais pas en entendre parler. Et puis, j’avais plein de boulot. Mais, comme je suis une super copine, j’ai répondu : « Mpffmouichebond’accord, mais je te préviens, AU MOINDRE IMPONDÉRABLE JE LÂCHE L’AFFAIRE ». J’avais une vague idée de début de roman jeunesse (Un chevalier en armure qui, chaque jour, grimpe sur une falaise, et attend, épée en main, un dragon qui ne vient jamais), une molle envie de me frotter au young adult et pas de pression. Petit à petit, l’inspiration est venue, et avec elle la motivation. Petit à petit, s’est dessiné un objectif : écrire le roman qui, lorsque j’étais adolescente, puis jeune femme, m’avait manqué.
Écrire l’histoire de celui ou celle qui, dans la littérature populaire, est toujours un sidekick : le sage. Celui ou celle qui prend du recul quand les autres paniquent, que ses sentiments inspirent au lieu de lui faire perdre toute mesure, qui réconcilie sans confondre diplomatie et mollesse, qui a de l’intelligence, du caractère, de l’empathie, des tas de défauts, aussi, mais une vraie, belle personnalité, et dont les actions ne servent pourtant traditionnellement qu’à faire grandir un héros gentillet, pas trop malin afin de ne menacer personne, et assez creux pour que tout le monde puisse s’y reconnaître. (Aparté dans l’aparté : je rêve que des auteurs fassent la même chose avec les autres sidekicks : le « fort », le « rigolo »… ces gens sont tellement, TELLEMENT intéressants et humains !)
Et c’est ainsi qu’est né Face au Dragon.
(Pour ceux que le suspense rendait dingues : oui, mon pote a fini à cette occasion son premier roman, encore félicitations à lui.)
Après bien des développements et des réécritures, je me trouvai donc en possession d’un roman et d’éditeurs intéressés. Intéressés… mais « pas comme ça ». Pas si intello, pas si mature, pas si diplomate… pas si introspectif, c’est du young adult, que diable ! Face au Dragon avait de l’action, des sentiments forts, des thématiques qui plaisaient, mais sa narration ne collait pas.
On m’a donné d’excellents conseils. Tellement excellents que j’ai hésité à réécrire le manuscrit. Mais, lorsque j’ai confronté cette envie à la réalité, un problème est survenu : ce n’était plus le livre que je voulais faire. Ce n’était plus le livre qui m’avait manqué.
Écrire un livre « avant tout pour soi » n’est pas toujours une bonne idée, car c’est prendre le risque de produire des œuvres égotiques, et de l’égotisme à l’égoïsme, il n’y a qu’un pas. Mais je savais que je n’étais pas seule. Je savais que d’autres gens ne s’étaient jamais reconnus dans un héros, que d’autres gens voulaient de ces personnages capables de se regarder sans complaisance, que d’autres gens en avaient assez que l’intelligence, quand elle était enfin mise en avant, ne soit représentée que par des protagonistes aussi cons que les autres mais qui lisent des bouquins. Peut-être ces laissés pour compte des récits populaires constituaient-ils une niche, mais cette niche méritait qu’on lui parle. Plus : elle méritait qu’on dévoile son existence à l’ENSEMBLE DES LECTEURS.
Alors, j’ai gardé le cap.
Et ce roman a suscité des réactions qu’aucun de mes livres n’avait jamais engendrées. Des adolescents m’ont avoué qu’ils avaient attendu longtemps une telle histoire, des adultes qu’ils avaient pleuré en pensant à leurs jeunes « eux », des parents m’ont remerciée pour leurs enfants… Et, tout aussi important : des gens qui ne se reconnaissaient pas dans mon héroïne l’ont aimée.
Alors je voudrais de nouveau m’adresser à ma niche. Aux intellos, aux sapios, aux matures même à quinze piges :
Vous méritez que l’on mette en avant la prodigieuse richesse de vos personnalités. Vous méritez que l’on exhibe votre flamboyance. Vous méritez que l’on montre à la Terre entière que vous existez, bordel, et que oui, c’est réaliste, que oui, il est possible de vivre comme vous le faites, et que c’est BEAU. Vous méritez, enfin, d’être les héros, et je continuerai à vous donner de la voix.
Aujourd’hui, Face au Dragon , roman « peut-être de niche » publié par une petite maison d’édition alternative et militante de moins de deux ans d’existence, est nommé au prestigieux Prix Imaginales, et c’était une belle occasion de ressusciter ce blog. Aussi celle de remercier encore une fois Projets Sillex, ainsi que tous ceux qui l’ont soutenu, d’y avoir cru.